Elle sauve les apparences

Cet énième cycle est décidément très long. Tous ses symptômes habituels sont là: seins tendus, tiraillements dans l'utérus, fatigue, nausées, et toujours envie de faire pipi et plein de pertes blanches. On a  cependant déjà vu à quel point Elle était forte pour créer des symptômes, surtout une semaine avant le verdict... Le pire, c'est qu'Elle n'a  aucun espoir. Ce mois-ci, ils n'ont pas été très assidus dans leurs travaux pratiques... Le traitement antibiotique devant éradiquer leur infection vient de se finir alors il ne servait à rien qu'ils respectent leur calendrier habituel... Elle a cependant reçu les résultats d'une prise de sang récente (un dosage de la progestérone, pour les férues de biologie) : son ovulation est de bonne qualité! C'est toujours ça de pris!

En ce moment, Elle est surchargée de travail de toute façon. Elle n'a pas le temps de penser à grand chose. La plupart du temps, elle rend ses rapports plus d'une semaine après la date limite... Je ne vous explique même pas l'ambiance dans le bureau du boss! Elle a décidé que malgré tout, c'était ce qui se rapprochait le plus d'une vie normale. Et dans sa vie normale, elle fait du tir à l'arc! C'est l'une de ses grandes passions. Elle aime autant s'entraîner qu'entraîner les autres. Avec cette histoire de bébé, voilà presque un an qu'elle n'a pas touché son arc... Cette fois, c'est décidé, Elle recommence à vivre comme avant. Métro, boulot, sport, dodo! L'énergie qu'elle consacrait à se lamenter sur son sort est maintenant recyclée de la meilleure manière qui soit. Elle rattrape son retard dans ses dossiers, elle retrouve les entraînements, ses amis sportifs, les nouveaux venus au cours de tir et surtout, le soutien de son entraîneur. Elle se rend compte qu'elle a eu tort de s'enfermer. Dehors, il y avait plein de gens prêts à lui changer les idées, à lui mettre un bon coup de pied aux fesses et à lui rappeler que vivre l'instant présent était très important pour construire son futur.

Elle avait oublié que son entraîneur, c'est sa deuxième maman. Sa vraie maman, elle la protège, elle ne lui dit pas tout, elle lui cache même la majeure partie de sa peine. Elle la tient au courant des résultats, ça s'arrête là. Avec son entraîneur, c'est totalement différent. Deux générations les séparent mais elles se disent tout, comme de vieilles amies. Elles n'ont pas ce lien de parenté qui les freine dans leurs confidences. La différence d'âge fait cependant qu'une relation mère-fille s'est installée. Sa seconde maman est une ancienne sportive de haut-niveau, une championne du monde, une vraie compétitrice. Quand elle vous remonte les bretelles, vous en prenez pour votre grade. Ça lui fait du bien, à Elle, d'être bousculée. Contrairement aux apparences, elles ne sont en fait absolument pas d'accord l'une avec l'autre. L'une veut son bébé, peu importe les difficultés qui pourraient en découler, l'autre lui conseille d'attendre, d'être sûre d'avoir une vie stable avant de se lancer dans la grande aventure de la maternité.

"Attendre", Elle n'en peut plus d'entendre ce verbe!!! L'entraîneur a des enfants, c'est donc facile à dire pour elle. En temps normal, Elle aurait envoyé promener sans retenue une personne lui sortant ces phrases bateau, mais là, c'est différent. Elle ressent une inquiétude profonde  dans la voix de sa confidente, ses conseils prennent une autre dimension. Même si Elle n'est pas d'accord avec les mots, tous les sentiments mis derrière la réconforte. Comme le ton de la conversation n'est pas tendre, en plus de se soutenir soutenue, elle se prend un sacré coup de fouet et si vous saviez comme ça lui fait du bien!

Dès le lendemain, Elle se jettera encore plus dans son travail, elle reprendra les entraînements (mais en tant qu'entraîneur, n'y voyez aucune analogie). Elle verra plus souvent ses amis en sortant du travail, elle prendra des nouvelles de ceux qu'elle a délaissés.

Ce regain de bonne humeur durera un petit mois. C'est une bouffée d'oxygène pour tous.

Son cycle menstruel se finira comme tous les autres: en commençant le suivant. Encore une fois, elle mettra sa tristesse dans le fond de sa poche avec son mouchoir par-dessus. Ce mois-ci, le mouchoir est cependant moins grand que d'habitude.